Gnous,
Tu sais quoi ? Je viens de capter un truc incroyable !
Je suis arrivée à Paris en 1993. Ca fait donc 18 ans que je suis ici…
‘tain, j’ai l’impression que c’était hier dis donc.
Je te resitue le truc…
En 1993, l’endroit où sortir et où il fallait être vu, c’était : le Banana Café ET le Queen !
Quand je vois ce que c’est devenu aujourd’hui, je me gausse allègrement… Plus has-been, ya pas. Et ça nous rajeunit pas.
Donc oui, à l’époque, si tu voulais draguer et rencontrer du monde, et ben fallait aller chez les homossessouels.
Et CA, les garçons hétérosessouels l’avaient bien compris !
C’était dans les lieux fréquentés par les garçons sensibles que l’on trouvait les plus jolies filles. Pis comme les garçons sensibles n’aiment pas la mocheté (et qu’ils n’aiment pas trop que n’importe qui touche à leurs copines), et ben ils laissaient pas rentrer les mecs hétéros moches.
Résultat : tout le monde se rinçait l’œil, et tout le monde était content !
Parfois, pour plus de commodités, les garçons étaient à voile et à vapeur ou pal-secam… Ils faisaient les deux quoi…
Copain, copine : tout le monde tambourine !
Dans ma bande de copains par exemple, l’on trouvait ce très très beau garçon qui s’appelait Vincent.
Alors, le truc, c’est qu’on n’a jamais vraiment su de quel côté il se situait…
Il se faisait tripoter par les garçons sensibles (et il disait rien).
Et il se laissait aussi tripoter par not’ coupine Rebecca, que l’on appelait « le caniche royal » passque ses cheveux c’était vraiment un gros gros problème. Parfois, on se dit que les fées ont fait pipi en se penchant sur le berceau de l’enfant, genre :
« Ah nan hein ! Celle-là, elle sera gaulée comme une déesse et aura des yeux de ouf’, on peut pas tout lui donner en même temps non plus ! Donc, on va lui filer des cheveux de merde pour lui rappeler ce que c’est que l’humilité ! ».
C’est donc ce que l’on appelle communément de nos jours : la Mère Nature cette truie ! GROUIIIIIIIIIIIIK.
Les cheveux de Rebecca ça tenait vraiment d’un tel concept tellement improbable que je me suis toujours demandé pourquoi on lui avait infligé ça…
Mais Vincent, ça le dérangeait pas.
Y avait rien qui le dérangeait d’ailleurs.
Même quand not’ pote Pedro-pue-la-mort lui touchait le sboub.
Pedro, lui c’est l’option douche qui n’avait pas été intégrée dans son code génétique…
Mais il était tellement gentil qu’on lui pardonnait. Fallait juste respecter une distance réglementaire avec le cimetière qui lui servait de bouche, et tout allait bien.
Parfois, on attendait les soirées "Mousse" avec une ferveur non dissimulée (passqu'on savait qu'on allait pouvoir en profiter pour laver Pedro. Oui... Même avec de la lessive, c'était toujours ça de pris). Personne ne voulait s’asseoir à-côté de lui en voiture, c'est pour te dire...
Une fois, il sentait tellement le rat crevé qu'on a été obligés de le mettre dans le coffre (véridique). Le problème, c'est qu'on s'est ensuite fait arrêter par la Maréchaussée (vu qu'on était 7 dans la voiture), et qu'il a fallu qu'on essaye d'expliquer que NON c'était pas un kidnapping,
Et on sortait donc tous ensemble, et tous les soirs à partir du mercredi.
Et là où on faisait sensation c’est quand on avait le beau Vincent avec nous et : qu’il portait son tee-shirt moulant Superman !
J’peux te dire que sur un garçon fortement bien fait de sa personne, c’est un appel direct à la sessoualité…
Mais perso, je ne faisais que baver sur Vincent car j’ai beau être une dépravée, j’ai une règle dans la laïfe : on ne touche pas à ses potes ! Surtout quand les dits-potes se mélangent avec des filles ET des garçons. Pis j’ai jamais vraiment été une partisane des orgies.
Et sachant que Rebecca-le-caniche-royal était déjà sur le dossier, j’avais pas trop envie qu’elle vienne me fouetter avec ses cheveux. J’aurais pu en mourir tu sais !
Un jour, elle a même vu Pedro-la-mort en train d’essayer de jouer au Docteur sur Vincent.
Il lui a dit : Viens voir mon gros stéthoscope !
Rebecca, elle a commencé à détacher ses cheveux… Et ben j’te jure que Pedro a directement remballé tout son matériel !
Vincent, en plus d’être beau, gentil et intelligent, il avait aussi des parents milliardaires…
Un jour, il a dit à Pedro : je pars en voyage à Tahiti. Tu m’accompagnes ? J’te paye le billet.
Pedro, à la base il était vendeur de couscous et il vivait à l’hôtel, donc tu te doutes bien qu’il a dit oui tout de suite.
Rebecca elle est rentrée au Club des Pintades-Gourdasses et elle s’est rasée la tête en signe de protestation. C’est l’idée la plus lumineuse qu’elle a pu avoir d’ailleurs.
Avec not’ bande, on est donc restés comme des couillons à Paris en se demandant comment allait faire Vincent pour passer 24 heures dans un avion assis à-côté de Pedro (rapport à l’odeur de fromage putréfié qui se dégageait de ce garçon).
On se foutait d’eux à distance en envoyant des colis à Papeete avec du dentifrice et du savon dedans.
Au bout de deux mois, Pedro est rentré de Tahiti.
Tout seul.
Vincent était gravement malade et il ne l’avait dit à personne.
Il a été enterré pas très loin de Paul Gauguin et de Jacques Brel.
A Paris, sa maman a organisé une petite cérémonie en sa mémoire, et ensuite elle nous a emmenés chez Vincent afin que chacun prenne une affaire lui ayant appartenu.
Moi j’ai pris le tee-shirt Superman.
Et je n’ai plus jamais remis les pieds au Queen, ni au Banana Café…